« Avez-vous récemment donné de l’argent à une personnalité politique française ? Dans l’affirmative est-ce un montant de 12 millions d’euros soit environ 7,9 milliards d’argent d’un pays catalogué pays pauvre très endetté. Surtout quand on sait que la haine et le rejet de l’autre, ont toujours été utilisés par le parti, comme véhicule d’une ascension politique ?». Telle est l’interrogation adressée par l’ancien Premier ministre de Me Abdoulaye Wade et ex-président de la Commission de l’Uemoa au chef de l’Etat Macky Sall. Cette personnalité politique française n’est personne d’autre que le leader de l’extrême droite française, Marine Le Pen, reçue en audience, le 18 janvier dernier, par le président sénégalais, Macky Sall. Toujours dans sa missive, Aguibou Soumaré a appelé Macky Sall à éclairer la lanterne des Sénégalais par rapport à ce montant faramineux. Une « révélation » vite démentie par le Gouvernement qui, à travers un communiqué, a condamné « les insinuations lâches et sans fondement » de M. Soumaré qu’il accuse de vouloir « jeter le discrédit sur la personne du président de la République » et « nuire aux institutions, aux relations entre le Sénégal et une puissance étrangère ».
Le cadeau, « l’homme charmant » et l’audience secrète
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’audience entre ces deux personnalités politiques est très discrète. Le palais présidentiel, adepte des tweets et des réseaux sociaux, n’a fait aucune communication. S’attendant sûrement au tollé que cette entrevue aurait suscité ! Mais, c’est quelques jours plus tard que le tête-à-tête a commencé à livrer quelques-uns de ses secrets. Et c’est le journaliste Charles Sapin, qui a levé un coin du voile en dévoilant, sur Twitter, une photo où l’on voit que Macky Sall a offert en guise de cadeau un exemplaire de son livre “Le Sénégal au cœur” avec une dédicace à Marine Le Pen. « A Mme Marine Le Pen en souvenir de votre passage au Sénégal et votre vision pour un nouveau partenariat entre la France et le Sénégal » a écrit le Chef de l’État. Un livre dont parlait d’ailleurs Birame Faye, coordonnateur de la Task force républicaine, en réplique à Haguibou Soumaré.
Pour sa part, la cheffe du Rassemblement national a, à la fin de la rencontre, salué le « charme » de Macky Sall. « C’est un homme charmant. Nous avons eu une conversation intéressante et chaleureuse, a-t-elle déclaré au Point. Nous avons abordé la nécessaire coopération entre le Sénégal et la France, la francophonie ainsi que l’ensemble des perspectives de développement du Sénégal. Sur le plan énergétique aussi bien que sur celui de la souveraineté alimentaire ».
Mais, d’après Le Point, journal français, ce tête-à-tête a été préparé depuis plusieurs mois et facilité par l’absence « d’intérêt immédiat » selon le conseiller de Marine Le Pen, Nicolas Lesage.
La question que tout le monde se pose est la suivante : Qui est donc ce fameux facilitateur ? Ce n’est personne d’autre que le célèbre homme d’affaires Philippe Bohn, ancien Directeur général de la compagnie nationale Air Sénégal et ancien conseiller du Général De Gaulle, -qui symbolise la Françafrique-. Présenté comme un ami de Macky Sall par Le Point, Bohn détient un solide carnet d’adresses en Afrique puisqu’il est, également, proche de plusieurs Chefs d’État Africains « passés et présents : de Joseph Kabila à Denis Sassou-Nguesso au Congo, d’Ali Bongo au Gabon à Paul Kagame au Rwanda en passant par Thabo Mbeki en Afrique du Sud », précise d’ailleurs le média français.
Allant plus loin, Le Monde révèle pour sa part, que « l’agent d’influence » continue de « traiter » aujourd’hui avec 22 chefs d’Etat en exercice, en grande partie africains et « si Marine Le Pen l’emportait en 2027, cela ferait vingt-trois, et lui se verrait bien entrer à l’Elysée en tant que « M. Afrique » . Pour l’accompagner dans l’élaboration de sa politique africaine, Marine Le?Pen s’est entourée d’un fin connaisseur du continent, qui rejoint là sa véritable famille politique.
Quoi qu’il en soit, cette audience a déplu plus d’un dans la galaxie des panafricains. Dans une tribune publiée le 14 février dernier sur Jeune Afrique, Karfa Diallo, Conseiller régional nouvelle-Aquitaine et fondateur-directeur de l’association Mémoires et partages, a tenté de démontrer « pourquoi Macky Sall n’aurait jamais dû recevoir Marine Le Pen ». Pour lui, le président sénégalais a « foulé aux pieds les combats antiracistes des pionniers de l’indépendance du Sénégal et des défenseurs du panafricanisme ».
M. Diallo pense, en effet, que « cette validation africaine de la stratégie de dédiabolisation d’un parti grisé par ses récents succès électoraux et par son intégration progressive dans l’appareil d’État français constitue un précédent dont les diasporas africaines risquent de pâtir, dans une Europe où l’extrême droite grignote insidieusement l’espace républicain ».
A l’en croire, habituée des harangues contre l’immigration, Marine Le Pen use de la langue de bois pour mettre en avant « l’importance d’un authentique co-développement euro-africain », « la francophonie » ou « les questions de sécurité alimentaire et de santé ».
Le « plaidoyer » de Marine Le Pen pour l’Afrique
« Opportuniste, elle parachève son discours en défendant une candidature africaine à l’Onu et en souhaitant « qu’un représentant de l’Afrique [siège] comme membre permanent du Conseil de sécurité », dit-il. Mais, « il n’en fallait pas plus pour que le président Macky Sall, qui doit pourtant avoir remarqué que la jeunesse sénégalaise s’en prend de manière récurrente aux intérêts français, déroule le tapis rouge à la dirigeante du Rassemblement national, entraînant dans son sillage une administration qui, en trois interminables journées, de Dakar à Saint-Louis, a multiplié les courbettes pour vanter la coopération possible avec la dirigeante d’un parti qui fait ouvertement carrière sur la haine des Noirs et des Arabes », de son avis.
« Visite d’exploitations agricoles, accolades avec des forces militaires françaises, larmes de crocodile devant des lits de patients hospitalisés et tristesse de façade à la Maison des esclaves de Gorée, elle a tout osé, et le Sénégal lui a tout permis », a enfin regretté le Conseiller régional nouvelle-Aquitaine et fondateur-directeur de l’association Mémoires et partages.
De son côté, l’ancienne Envoyée spéciale de Macky Sall, a exprimé son désaccord à propos du « téranga sénégalaise » dont a bénéficié la responsable politique française. Car, selon Aminata Touré, « le Sénégal est aussi un pays de fierté et de refus. De refus de l’indignité. De refus de l’aplatissement. C’est pourquoi il est inacceptable que Marine Le Pen, dirigeante de 2011 à 2021 du Front national [renommé Rassemblement national en 2018], parti raciste et xénophobe français, ait été autorisée à fouler le sol sénégalais ». Mieux, a-t-elle poursuivi, « depuis des décennies, nos centaines de milliers de compatriotes africains vivant en France subissent les attaques racistes, verbales – et même physiques – du Front national, lequel a d’abord été dirigé par son père, Jean-Marie Le Pen ».