« Je respire difficilement. Le médecin m’a dit que c’est un début d’asthme. Et je tousse beaucoup, ce qui me fait une intense douleur dans les côtes », s’alarme Seynabou Ndiaye, une Dakaroise âgée d’une trentaine d’années.
Installée sur le siège arrière d’un taxi, au milieu d’un embouteillage monstre, aux Parcelles Assainies, dans la banlieue de Dakar, cette femme à la respiration sifflante se fait soigner depuis plusieurs mois au centre de santé Mame-Abdoul-Aziz-Sy. C’est l’un des plus importants établissements publics de santé de la banlieue dakaroise.
La capitale sénégalaise concentre de nombreux facteurs de dégradation de la qualité de l’air, qui en font « la deuxième ville la plus polluée » du monde, selon une étude publiée en mai dernier par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Cette étude contient très peu d’éléments de comparaison par rapport à d’autres villes africaines. Elle n’a utilisé que des données de 2016 (…). Il faut donc impérativement relativiser la deuxième place qu’occupe Dakar dans ce classement », a réagi le ministre sénégalais de l’Environnement, Mame Thierno Dieng, devant des journalistes, le 18 mai à Dakar.
Les déchets industriels, la déforestation, la vétusté d’une partie du parc automobile et l’incinération des déchets au milieu des lieux d’habitation sont les principaux facteurs de pollution atmosphérique dans la capitale sénégalaise. « Mais à cette pollution anthropique s’ajoute une pollution naturelle engendrée par la nappe de poussière provenant du désert du Sahara, qui favorise l’asthme, la bronchite chronique, l’emphysème et d’autres maladies respiratoires. Ces maladies constituent la première cause de mortalité chez les enfants. L’appareil respiratoire est hypersensible à la pollution atmosphérique, qui produit des pollens occasionnant des risques d’allergies respiratoires », explique le professeur de médecine Nafissatou Touré, chef du service de pneumologie du CHNU de Fann, à Dakar.
Selon elle, les nuages de poussière, ajoutés à la pollution industrielle et automobile, exposent les Dakarois aux maladies respiratoires.
« BEAUCOUP DE FUMÉE »
Papa Massèye Sèye, 46 ans, venu retirer les résultats d’une radiographie pulmonaire au CHNU de Fann, souffre d’une infection respiratoire. « J’ai été hospitalisé ici pendant deux semaines début juin », explique ce sexagénaire convalescent. Il habite une maison située à côté d’un atelier de soudure, qui « dégage beaucoup de fumée ».
« À la maison, de fines couches de sable se déposent sur notre balcon. Les nuages de poussière nous envahissent au passage des nombreuses voitures », se désole Seynabou Ndiaye.
La région de Dakar, avec une superficie représentant 0,28 % du territoire sénégalais, concentre 3,3 millions d’habitants, soit près du quart de la population du pays, selon une brochure consacrée au « Plan Sénégal émergent » par l’APIX, l’agence gouvernementale chargée de la promotion des investissements. De nombreux quartiers jouxtent la « zone industrielle » de la ville, ce qui augmente les risques de maladies respiratoires.
Ces facteurs de pollution sont des vecteurs de « maladies pulmonaires chroniques obstructives » et de maladies cardiovasculaires, selon Nafissatou Touré. Elle propose, en guise de prévention, la création au Sénégal d’un « programme » dédié à la prévention des maladies respiratoires et « intégré » au « système d’alerte » sur la qualité de l’air mis en place par le gouvernement, qui a créé depuis 2009 le Centre de gestion de la qualité de l’air (CGQA).
Le CGQA, placé sous la tutelle du ministère de l’Environnement, a mis au point l’IQA, un indice servant à mesurer la qualité de l’air à l’aide d’un réseau de six stations réparties sur le territoire national. L’IQA est publié quotidiennement, à travers une messagerie électronique, sur le site internet « www.air-dakar.org », depuis 2010. En cas d’alerte, ses communiqués sont envoyés aux médias locaux, dont l’Agence de presse sénégalaise.
« Même si des efforts restent à faire pour une meilleure diffusion de l’IQA, les Dakarois sont de plus en plus attentifs aux alertes sur la pollution de l’air », affirme Aminata Mbow Diokhané, experte en gestion de la qualité de l’air et ingénieure en informatique au CGQA. Mais Papa Massèye Sèye et Seynabou Ndiaye disent ignorer l’existence du CGQA et de ses bulletins d’information sur la qualité de l’air.
AIR TROUBLE ET CRISES D’ASTHME
« Des études sont en cours, notamment avec le service de pneumologie du CHNU de Fann, pour mieux déterminer l’ampleur de la pollution atmosphérique sur la prévalence des maladies respiratoires à Dakar », assure Aminata Mbow Diokhané. Elle explique comment la pollution atmosphérique favorise les maladies respiratoires : « Les polluants pénètrent dans l’appareil respiratoire en fonction de leur solubilité, pour les gaz, et de leur diamètre pour les particules. Les gaz les plus solubles, le dioxyde de soufre par exemple, se dissolvent dans les voies aériennes supérieures. Les moins solubles, les oxydes d’azote, l’ozone, le benzène, etc., pénètrent les alvéoles. »
« Une exposition permanente à ces polluants peut conduire à l’irritation des voies aériennes et engendrer des troubles asthmatiques, une altération de la fonction pulmonaire, un accroissement de la réactivité bronchique et des infections respiratoires », ajoute-t-elle.
« La pollution intérieure est la plus dangereuse de toutes les formes de pollution. Il s’agit de cette pollution qui affecte les maisons et les lieux de travail, où les gens passent une bonne partie de leur temps. Elle est souvent causée par l’étroitesse de ces lieux, par l’usage des désinfectants, des désodorisants et d’autres produits chimiques. S’y ajoutent le non-renouvellement de l’air, l’humidité, etc. » précise Mme Touré.
Pour sa part, le gouvernement sénégalais est en train de dérouler un programme de désencombrement et de dépollution de la capitale. Le plus grand aéroport du pays a été transféré en décembre 2017 à Diass, à une cinquantaine de kilomètres de Dakar.
A Diamniadio, une commune située à une trentaine de kilomètres de Dakar, l’Etat est en train de faire construire des infrastructures sportives et universitaires, ainsi que des bâtiments à usage d’habitation et des sièges de ministères et directions de sociétés nationales.
« DES VÉHICULES FAIBLEMENT POLLUANTS »
« Pour réduire la pollution engendrée par la circulation automobile, le Sénégal est en train de mettre en œuvre un programme d’acquisition de véhicules faiblement polluants », affirme Modou Kane Diaw, l’adjoint du directeur national des transports routiers.
Ce projet bénéficie, selon lui, d’un financement de 30 millions d’euros du Fonds mondial pour l’environnement. Son but est de réduire les gaz à effet de serre générés par la pollution automobile.
Le Sénégal dispose actuellement d’un « parc automobile roulant » d’environ 600.000 véhicules immatriculés par le ministère des Transports, un chiffre prenant en compte les deux-roues et les tricycles, selon M. Diaw.
Ce fonctionnaire rappelle que l’âge maximum des véhicules de tourisme était fixé à cinq ans en 2001 au Sénégal, mais il a été porté à huit ans par le chef de l’Etat, Macky Sall, à la demande des importateurs. « Plus l’âge des véhicules est élevé, plus les risques de pollution automobile sont importants. Cette décision présidentielle aura forcément un impact sur la pollution », fait remarquer M. Diaw.
Selon l’ingénieur environnementaliste Madeleine Diouf Sarr, l’Etat devrait « encourager les populations à planter davantage d’arbres pour boiser leur lieu d’habitation et contenir les particules de sable provenant du désert ».
« Le secteur privé doit être impliqué dans la gestion des déchets, parce qu’il a acquis la technologie nécessaire pour atténuer ce facteur de pollution. C’est une bonne stratégie également de créer de nouvelles villes comme Diamniadio », ajoute Mme Sarr, qui est membre du Comité national sénégalais sur les changements climatiques.
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