« La liberté de la presse est menacée, tout le monde est en danger ». Ces propos sont attribués à l’actuel ministre des Mines et de la Géologie, Oumar Sarr. Rassurez-vous, cette girouette politique n’a pas quitté le gouvernement de Macky Sall pour retrouver un tant soit peu de sens civique. Les affaires politico-gouvernementales, a fortiori pétrolières et gazières, très lucratives pour les clans, sont bien supérieures à l’honneur !
C’était en 2015. Le secrétaire général adjoint du PDS, alors dans l’opposition, avait fustigé son camarade président de la République du Sénégal pour avoir commandité l’arrestation du directeur de publication de l’Observateur, Alioune Badara Fall, et le journaliste Mamadou Seck.
Dans cette affaire, la violation du secret-défense avait été opposée à ces deux journalistes trop indiscrets et investigateurs quant à l’envoi des Jambars vers une sale guerre au Yémen, orchestrée par l’Arabie Saoudite, et en particulier par le prince héritier, Mohammed Ben Salmane, l’ordonnateur en chef de dépeçage à la scie d’un journaliste, selon les sources d’un rapport de la CIA, très vite déclassifié. Je me protège compte tenu que sa justice l’a blanchi, et que Joe Biden et Emmanuel Macron ont retourné leur veste le concernant, je n’ai pas envie de finir au fond d’une malle ou de la Seine ! Encore toutes mes excuses grandissime Majesté pour mon impudence !
La liberté de la presse sénégalaise face au secret d’État du 3ème mandat. L’assassinat en octobre 2018 du journaliste et chroniqueur du Washington Post, Jamal Khashoggi, s’inscrit dans les meurtres les plus odieux de la liberté d’expression dont les régimes autocratiques ont une marque de fabrique, très moyenâgeuse, sans rival.
Le message envoyé était très clair : toute opinion différente ou toute lèse-majesté (MBS était en pleine ascension et devait faire ses preuves avec sa guerre au Yémen) sera désormais punie de mort. Nous y voilà au cœur de l’affaire de Pape Alé Niang (PAN), cette satanée critique est bannie par le régime de Macky Sall à l’approche de 2024. Une récente sortie du nouveau ministre de la Culture, Aliou Sow (reconverti dans le 3ème mandat), contre le rappeur Nitdoff, nous instruit sur la nouvelle doctrine Salliste : « toute personne qui se permet d’insulter l’État se fera arrêter. » Quelle est la frontière entre l’insulte supposée et la critique avérée ? Peu importe, le message est aussi explicite que celui envoyé lors du démembrement de Jamal Khashoggi. Ne touche pas à l’État et à son chef sinon tu le regretteras toute ta vie !
Il y en a un qui ne va pas avec le dos de la cuillère. C’est le ministre de la Propagande de Macky Sall, euh pardon de la Communication, l’inégalable Moussa Bocar Thiam. Lors de la première arrestation de PAN, il a déclaré que « son investigation ne fait pas avancer le pays, celle-ci est basée uniquement sur la critique. Son investigation influence les populations, nuit aux actions du pouvoir ; ce n’en est pas une. C’est plutôt de la manipulation. (Sic) » Ce ministre, assurément, a obtenu ses diplômes de démocratie très aboutie et de liberté d’expression émergente en Corée du Nord !
Les rapprochements entre Khashoggi et PAN sont troublants compte tenu des modes opératoires très similaires. D’aucuns, après l’assassinat du journaliste saoudien, ont voulu salir sa réputation, accusé d’être proche du clan Saoud, et en conséquence éloigné du modèle révolutionnaire. Et alors, le passé est le passé, sa critique contre la guerre au Yémen l’a fait basculer dans le camp des opposants. De son côté, PAN s’est vu reprocher, par les griots du gouvernement, à l’exemple du ministre de la Propagande (Emmanuel ! Tu dois t’y faire : ministre de la Communication !), sa non-obtention de la carte de presse, et sa proximité avec les thèses de Sonko. Les gouvernants sénégalais feignent d’ignorer qu’il n’est pas indispensable d’obtenir sa carte de presse pour être journaliste et que le journalisme d’investigation est par essence critique.
Tout le monde n’a pas envie de suivre la Pravda sénégalaise que sont le Soleil et la RTS, les perroquets du gouvernement. Khashoggi et PAN avaient franchi une ligne rouge aux yeux de leurs gouvernements respectifs : les réduire au silence était la seule issue. Pour le Sénégal, c’est d’empêcher toutes investigations sur la mort de François Mancabou, sur l’affaire Adji Sarr-capitaine Touré (et autres), sur la mauvaise gouvernance et sur le « respectable » Général Moussa Fall (la prudence est de mise d’où ma flagornerie à son endroit, il a des accointances avec la DGSE et DRM).
Un autre point commun entre Khashoggi et PAN, ce sont les réseaux sociaux. Jamal Khashoggi était en contact avec le jeune activiste Omar Al-Zahrani. Les deux devaient s’unir pour contrer MBS sur la toile. Le logiciel espion Pegasus a eu raison de leur entente. Le pouvoir sénégalais a tangué avec les émeutes de mars 2021. Les réseaux sociaux ont eu un effet mobilisateur inédit. La réplique n’a pas tardé sur le plan législatif et judiciaire pour contrecarrer la « malveillance » d’internet : nouvelle loi contre le terrorisme, arrestation des activistes internautes, etc. Contrairement à la presse écrite, la presse en ligne, difficilement contrôlable (petites structures), constitue une menace réelle pour le pouvoir. Les deux arrestations du Directeur du patron du site Dakar Matin est un avertissement sans frais en direction des sites web protestataires.
La dernière similitude entre Khashoggi et PAN : l’entrée en scène des services secrets. L’Arabie saoudite, c’étaient les exécuteurs-flingueurs dans la quasi-intimité de l’ambassade d’Ankara. L’arrestation de PAN, c’était une course à la montre des renseignements généraux pour débusquer les sources du journaliste. Sans doute était-ce le réel motif. Nous en sommes toujours à l’étape des interrogations et des suppositions. Comment interpréter, après la fouille du portable de PAN, la disparition de deux militaires, l’un en poste à l’Inspection générale d’État et l’autre à la Direction des renseignements militaires ?
La version de l’État, c’est une partie de pêche qui a mal tourné ! A-t-on le droit d’être intrigué ? Apparemment, l’État semble très nerveux sur cette question, ce qui a conduit à l’arrestation de Fadilou Keïta. Nous savons qu’Ousmane Sonko est très bien renseigné à l’intérieur même de l’État. Là-aussi, le message n’est-il pas translucide en direction de la grande muette et des autres services d’État ?
Quoi qu’il en soit, il est recommandé aux journalistes critiques, chroniqueurs et éditorialistes, de ne pas mettre comme lobbying sur leur Curriculum Vitae le plaisir de la pêche ! Qu’est-ce qui pourrait nous arriver ? Peureux que je suis, j’ai supprimé tous mes loisirs sportifs et prétendu aimer Madame Figaro. Cela semble moins risqué !
Les deux États, l’Arabie Saoudite et la République du Sénégal, ont commis un crime d’État, l’un par le meurtre, l’autre par l’embastillement (et les dégâts collatéraux sur les sources des journalistes non encore élucidés), il n’y a pas une grande différence : dans les deux cas, la liberté d’expression des journalistes a été mise à mort. Plus surprenant, le Sénégal, censé plus démocratique que l’autre pays en question, paraît glisser dangereusement vers une sorte de dictature soft, très cynique, très Canada Dry. L’arrestation de PAN, c’est une contre-mesure, un dispositif de guerre mûrement réfléchi, contre mars 2021 et contre la contestation du troisième mandat de Macky Sall. Jusqu’en 2024, le régime de Macky Sall, pour sa survie, est prêt à tous les excès autoritaires.
La liberté de la presse sénégalaise face au business politique de la France. La visite, le 20 décembre 2022, du premier flic de France, Gérard Darmanin, à son homologue sénégalais, Antoine Félix Abdoulaye Diome, m’a interpellé dans le timing de la seconde arrestation de PAN, le même jour.
Faut-il y voir une simple coïncidence ou est-ce le résultat d’une coopération politico-policière assumée (et donc un soutien réel au troisième mandat de Macky Sall) ? L’entente cordiale entre la France et le Sénégal n’est plus à démontrer. Le dernier séminaire intergouvernemental et néocolonial, co-présidé entre Amadou Ba et Elisabeth Borne, le 9 décembre 2022, à Paris, a scellé le sort des contestataires de Macky Sall. Emmanuel Macron veut reconquérir l’Afrique de l’Ouest et les anciennes colonies de la France. Le président français acceptera toutes les compromissions, y compris celles portant atteintes aux idéaux de la France ! Le Mali et le Burkina Faso sont des salissures dans sa politique internationale du premier mandat.
Comme jadis, lors de la colonisation, Dakar sera le fer de lance de cette reconquête. C’est bien une guerre que la France s’apprête à déclarer à la Chine, la Turquie et la Russie dans la sous-région. Il convient tout d’abord d’assurer la sécurité de la base arrière. Mars 2021 ne doit plus se reproduire. Les émeutes avaient visé le pouvoir de Macky Sall et les intérêts économiques de la France.
Afin d’assurer ses arrières et éviter que le Sénégal devienne un nouveau front anti-français, Gérard Darmanin, le Faidherbe des temps modernes, est venu annoncer une bonne nouvelle : une meilleure formation des policiers sénégalais, et une meilleure prise en compte de la lutte contre la cybercriminalité, grâce à laquelle le gouvernement sénégalais traquera plus aisément les activistes (assimilés à des terroristes depuis la nouvelle loi sur le terrorisme) et les journalistes récalcitrants et leurs sources. La coopération policière entre Darmanin et Diome s’est aussi soldée par la vente d’armes anti-émeutes, la France ayant engrangé une grande expertise dans l’usage excessif de la violence fort de la révolte des gilets jaunes (l’Onu avait réclamé une enquête) et fort de l’organisation chaotique de la finale de la Ligue des Champions à Paris (les victimes des violences policières
– les supporters de Liverpool, se souviennent encore de leur séjour en terre d’Emily in Paris !)
En réalité, depuis les émeutes de mars 2021, la France est en train de reprendre le contrôle du Sénégal. Elle considère que Macky Sall a failli dans le domaine de la sécurité et de la stabilité. Si ce pays n’a pas encore décidé de son sort, la France l’instrumentalise dans son dessin de reconquête. Depuis les émeutes, l’ambassade française est devenue une fourmilière de renseignements généraux. Ils assistent le gouvernement sénégalais à pourchasser les terroristes-activistes. Ils encouragent et coopèrent à stopper tout ce qui pourrait nuire à la stabilité, et donc aux intérêts des Français, et ce même en utilisant des procédés illégaux en droit français.
C’est dans ce contexte que la liberté de la presse sénégalaise est devenue une victime du rêve insensé d’Emmanuel Macron de renaissance française en Afrique. La ministre Catherine Colonna, si prompte à dénoncer les violations des droits de l’homme, a gardé son mutisme après l’arrestation de PAN. Aucun communiqué de Paris ! Pourtant, il est impensable de jeter en prison un journaliste en France. Tout au plus peut-on les convoquer (DGSI), les intimider, leur faire un rappel à la loi, attaquer leur portefeuille. Mais pas question de les embastiller au pays de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 !
Lors de l’affaire du Rainbow Warrior, François Mitterrand aurait été tenté d’interdire la publication de l’hebdomadaire « VSD » où le journaliste Jacques-Marie Bourget révéla que l’opération avait été conduite par les services français. Cette censure aurait eu des dégâts incontrôlables auprès de l’opinion publique attachée à l’indépendance de sa presse.
La France connaît le passif des politiques sénégalais : blanchiment d’argent, fausse monnaie, détournement d’aide, possible complicité de trafic de drogue…Gérard Darmanin, à l’occasion de sa dernière visite, a voulu flatter le ministre de l’Intérieur sur le commerce illicite du crack entre la France et le Sénégal. La France sait parfaitement que son business politique a une valeur hautement supérieure au passif de la classe politique sénégalaise. Elle ferme donc les yeux au nom de l’intérêt public et des affaires.
Conclusion : la résistance de la nouvelle liberté universelle de PAN. « La liberté de la presse est la pierre angulaire de l’édification d’institutions justes et impartiales ; elle permet aussi de mettre les dirigeants devant leurs responsabilités et d’exprimer la vérité face aux puissants. » — António Guterres, Secrétaire général de l’ONU.
Tout y est dit. L’investigation, c’est de révéler les affaires personnelles et souvent criminelles des grands de ce monde, qu’ils soient politiques ou industriels. C’est de les mettre devant leur responsabilité face au peuple qui seul détient le pouvoir. Tout est mis en œuvre, y compris en France, pour sauvegarder les intérêts économiques, les secrets des affaires, notamment dans la vente des armes, par un contournement de la loi de 1881.
Au Sénégal, c’est bien le secret du troisième mandat qui tue, qui fait arrêter des lanceurs d’alerte et des journalistes. Au Sénégal, c’est bien une caste politique qui est dépourvue de toute moralité et qui trahit la politique : le journaliste n’a pas à fourrer son nez partout !
La démocratie sénégalaise risque d’être définitivement achevée par le régime de Macky Sall. Il a confisqué au peuple la liberté de la presse, seul moyen d’éclairer la population ; il a mis en miette l’État de droit ; il a détourné les aides du Covid-19 destinées aux plus fragiles (s’il n’y avait pas un affrontement de succession au sein de la famille Sall, personne n’aurait été informée) ; il a perdu (vendu) le contrôle du Sénégal au profit d’une force étrangère qui a fait de Dakar sa base arrière ; il a confisqué les rentes pétrolières.
2024, ce n’est pas seulement une question politico-juridique de troisième mandat, c’est aussi la liberté de la presse qui est en jeu, c’est aussi l’indépendance du Sénégal qui est en question, c’est après tout la survie de la démocratie sénégalaise qui sera posée dans les urnes. Il est temps que, aux côtés des journalistes et intellectuels indépendants, le peuple sénégalais reprenne son destin en main.
Si le peuple sénégalais n’arrête pas cette folie politique et destructrice de la République, le permis de tuer la liberté de la presse sera sans limites.