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En Ukraine, les femmes partent aussi à la guerre

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La répartition des rôles reste assez traditionnelle : les femmes sont autorisées à quitter le pays avec les enfants, tandis que les hommes en âge de combattre sont contraints de rester. Ceux qui ont quitté l’Ukraine malgré tout “auront du mal à justifier leur départ et le retour, pour eux, va être extrêmement difficile”, pointe la sociologue Ioulia Shukan.
Ioulia Shukan, maîtresse de conférences en études slaves à l’université Paris Nanterre et spécialiste de l’Ukraine, éclaire sur la place de la femme dans la société ukrainienne dans le contexte de la guerre. Entretien.
On observe une situation très “genrée”, avec les femmes et enfants qui peuvent quitter l’Ukraine, tandis que les hommes en âge de combattre sont contraints de rester au pays. Qu’est-ce que cela dit de la société ukrainienne ?

Cette situation est à l’image de la société ukrainienne, avec une répartition assez traditionnelle des rôles. Les femmes, tout en travaillant, tout en étant actives, ont la charge du soin apporté aux parents, aux enfants et même à leur mari, alors qu’on attribue aux hommes un certain nombre de qualités, notamment le courage, la force, la capacité de faire la guerre, etc. La répartition des rôles s’est faite assez naturellement, même si l’on voit beaucoup d’engagements féminins. C’était le cas en 2014 déjà, si bien que l’armée ukrainienne était, jusqu’à l’invasion, une des plus féminisées, avec 20 % des effectifs au total et 11 % pour les positions de combat.

“L’armée ukrainienne était, jusqu’à l’invasion, une des plus féminisées.”

Ioulia Shukan

Leur proportion a aujourd’hui diminué à 9 % du total, selon les chiffres donnés par le ministère de la Défense, ce qui s’explique par le fait que les forces armées ont presque triplé depuis 2022, passant de 250 000 à quelque 700 000 – 800 000. Mais il y a bien eu de nouveaux engagements de femmes cette année, à l’image à la fois de processus d’avancées féministes et de la façon dont elles occupent de nouvelles positions. Si les rapports genrés changent dans la guerre, dans le même temps, cela se fait sur la base plus traditionnelle de la vision de la femme qui se doit de porter soin aux enfants et qui, donc, s’en va.

Le fait que des femmes se soient engagées sur le front n’est-il pas de nature à changer leur place dans la société ukrainienne ?

Cela change, mais c’est une dynamique extrêmement longue. On le voit depuis 2014 déjà. Il y a notamment eu une campagne de plaidoyer menée par des intellectuelles, des anciennes combattantes et des volontaires, “Le bataillon invisible”, pour permettre aux femmes d’occuper des positions combattantes. Parce que, jusqu’en 2018 et la modification de la loi, ces positions leur étaient interdites, alors que, dans les faits, les femmes les avaient exercées, non pas dans l’armée, mais notamment dans les bataillons de volontaires.

Aujourd’hui, le débat se poursuit encore grâce à l’engagement de vétéranes, de combattantes, de féministes et intellectuelles, notamment sur la question des uniformes, qui n’existent pas en taille et modèle pour femmes, et des gilets pare-balles, qui ne sont pas adaptés à leur morphologie. Le ministre de la Défense a commandé des uniformes tests pour faire des essais et lancer ensuite éventuellement la production. On observe des évolutions, mais elles sont lentes face à la persistance des traditions.

De quelle manière la société ukrainienne, restée au pays ou en exil, juge-t-elle les hommes qui ont quitté l’Ukraine ou n’y sont pas rentrés lorsque la guerre a été déclenchée ?

Avec l’état de guerre, il y a interdiction pour les hommes de 18 à 60 ans de quitter le territoire. Mais des exceptions existent, pour les handicapés, les pères de famille de plus de trois enfants ou ceux qui ont la charge d’un enfant handicapé. Une étude en Allemagne a évalué à 65 – 70 % la part des femmes dans la migration. La présence des hommes est quand même aussi importante, soit parce qu’ils se trouvaient à l’étranger avant la guerre et ne sont pas rentrés, soit parce qu’ils sont partis. Il y a des faits de corruption (pour sortir du territoire, NdlR), mais ce n’est pas un phénomène massif non plus.

Il faut aussi avoir les moyens pour cela, ce qui implique une différenciation sociale. Une enquête du média Ukrayinska Pravda avait fait la lumière sur ce qu’il avait appelé le “bataillon Monaco”, ces oligarques, hommes d’affaires ou députés, souvent proches du parti prorusse, qui ont fait le choix de partir pour le sud de la France. La réprobation vis-à-vis de ce type de comportement est forte en Ukraine.

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Ces gens-là auront du mal à justifier leur départ d’Ukraine et le retour, pour eux, va être extrêmement difficile. Surtout que beaucoup d’Ukrainiens n’ont pas fui et que certains même, qui vivaient à l’étranger avant le 24 février 2022 et avaient le droit d’y rester, sont rentrés au pays, considérant qu’ils ne pouvaient pas se tenir à l’écart.

Ceux qui sont partis et ceux qui sont restés ne vivent de surcroît pas les mêmes expériences…

C’est une perspective longue pour la fin de la guerre et cela va créer des tensions, parce qu’il n’y a pas de communauté d’expérience entre les uns et les autres. Pas mal de femmes circulent, retournent voir leur mari ou leurs parents en Ukraine. Après avoir été obligées de partir avec les enfants, elles se trouvent dans une navette régulière et permanente entre ici et là-bas. Il y a une communauté d’expérience malgré tout. Mais je pense que, plus tard, il peut y avoir une ligne de coupure du point de vue du vécu et du quotidien de la guerre. Il ne s’agit pas de dire que l’exil est facile, il est aussi extrêmement difficile de s’intégrer dans un autre pays. Mais c’est une ligne de tension possible à l’avenir. Et pour les hommes, c’est sûr, cela va être très difficile.

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