Après le Mali, la Guinée et le Burkina Faso, voici que le Tchad, une autre ancienne colonie française, est plongé dans une crise sociopolitique et institutionnelle. Le couvercle de la marmite contestataire qui bouillait ces derniers mois a explosé ce 20 octobre. Plus d’une cinquantaine de vies enlevées et des blessés graves par centaines. Nous avons ainsi assisté ahuris à une sombre journée dans le continent africain. Un autre massacre populaire d’un régime impopulaire cherchant à se soustraire, même par les moyens les ignobles, de la volonté populaire.
Cette cruelle tuerie des manifestants en cette journée fatidique du 20 octobre, perpétrée par des éléments de la junte militaire, dirigée par le putschiste Mahamat Idriss Deby Itno, fils de son père, est digne des régimes sanguinaires dont regorge hélas l’histoire du monde. Ces tirs à balle réelle sur la population rappellent en effet les sombres agissements des pouvoirs dictatoriaux où on peut torturer, persécuter, blesser et tuer impunément. Sans frémir. Simplement parce que la population a décidé d’exprimer sa colère devant ce qu’elle considère comme une injustice institutionnelle : la décision inique de la junte militaire de prolonger jusqu’en 2024 la durée d’une deuxième « transition » avec la participation forcée de Mahamat Idriss Déby itno, chef de la junte militaire, aux élections à venir. Son père, Idriss Déby Itno, avait régné d’une main de fer sur ce vaste pays sahélien pendant trente ans avant d’être tué au front le 20 avril 2021.
Malgré le printemps chimérique des indépendances, les pays les plus pauvres du continent africain demeurent encore sous le joug de l’ancien colonisateur qui continue d’y faire la pluie et le beau temps. Que les Africains vivotent dans la pauvreté ; que les jeunes, à la recherche d’une vie meilleure, meurent en mer et que la démocratie ne soit qu’un vain mot manipulable selon les circonstances, n’intéresse pas la France. Son seul et ultime objectif est de continuer à puiser, tel un vampire insatiable, les ressources naturelles de ce qu’elle considère toujours comme sa propriété exclusive. Bien entendu, une telle infantilisation ne pourrait être possible sans la complicité et le cynisme des présidents africains qui acceptent volontiers de sacrifier leur peuple en contrepartie de l’assurance de protection de leur pouvoir, fut-il constitutionnellement illégitime. Emmanuel Macron a soutenu l’arrivée illégale de Déby-fils au pouvoir pour sauvegarder les intérêts français et poursuivre l’exploitation de ses ressources minières (gisements d’or, de fer, de bauxite, de cuivre de graffite, de diamant.) et pétrolières. Et pourtant, ce pays continue d’émarger parmi les pays les plus pauvres du monde : 186e sur 189 au classement 2018 des pays les plus pauvres selon l’Indice de développement humain établi par le PNUD.
Le nouveau vent d’autodétermination assumé qui souffle dans le continent africain et l’espoir suscité par des figures comme Succès Masra, un des leaders de l’opposition tchadienne, vient certainement bouleverser les plans de l’Élysée dans cette région. Son appel à une reprise en main du pays et à une meilleure justice sociale rejoint une jeunesse tchadienne soif de changement et désireuse d’une Afrique libre et libérée. Celle-ci se retrouve dans le discours cette figure irréductible du régime au pouvoir à Ndjamena, Son refus de toute compromission avec la junte au pouvoir lui vaut l’acharnement judiciaire du régime et diverses tentatives d’intimidation.
Dans un contexte aussi grave, le mutisme de Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, pourtant si prompt à twitter même pour des vétilles, est assez éloquent. Contrairement à Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union africaine, qui a condamné « fermement la répression des manifestations ayant entraîné mort d’hommes» le président sénégalais, qui n’hésite pas à prendre les airs et faire des milliers de kilomètres pour compatir à la douleur de la nation française ou anglaise et partager leur deuil national, est resté jusqu’ici coi devant le massacre en série de ces dizaines de nos frères et sœurs tchadiens. Silence coupable d’un président tout aussi préoccupé par la recherche des moyens de rester au pouvoir ou malaise devant des scènes qui rappellent les évènements tragiques du mois de mars 2021 dans lesquels sa responsabilité reste engagée?