L’île de Diogué, située à l’embouchure du fleuve Casamance, a perdu quinze hectares en dix ans. Ses habitants sont parvenus à regagner des dizaines de mètres de plage mais, à la veille de l’ouverture de la COP26, son cas illustre l’impact concret du changement climatique sur les zones côtières du continent.
En 2000, au terme d’une carrière à Dakar, Oumar Ndiaye n’a pas retrouvé son île comme il l’avait quittée étudiant. « En une cinquantaine d’années, la plage a perdu 200 ou 300 mètres, a calculé ce fils et petit-fils de pêcheurs. La situation a ensuite empiré. J’avais les pieds dans l’eau en sortant de chez moi. La nuit, je posais un gilet de sauvetage en bas de mon lit. »
Son île, c’est Diogué, située à l’embouchure du fleuve Casamance, sans couverture de mangrove ou flèche de sable pour la protéger de l’océan.
Tempêtes et cyclones
Cette position géographique a longtemps attiré des pêcheurs de toute nationalité – Ghanéens, Maliens et Guinéens – venus naviguer à peu de frais dans ces eaux poissonneuses. Mais ce qui faisait l’attrait de l’île s’est retourné contre elle. Depuis des années, des palmiers et des cocotiers tombent les uns après les autres, des maisons et des ateliers de transformation de poisson sont avalés, des rizières deviennent impraticables du fait de la salification de l’eau. L’école primaire a été déplacée, de même que le phare, à deux reprises – il n’est aujourd’hui plus qu’un bout de ferraille pathétique face aux vagues de l’Atlantique.
L’île de Diogué, comme sa voisine, Carabane – premier comptoir colonial français en Casamance –, est particulièrement menacée par l’érosion côtière, un problème récurrent sur les 700 km de littoral sénégalais. La côte, constituée de mangroves et de sables, y est fragile. Le sédiment se déplace au gré des courants marins et des marées.
Ce phénomène est accentué par le changement climatique et la multiplication des tempêtes et des cyclones. Il cause de lourds dégâts économiques, sociaux et environnementaux dans un pays où l’essentiel des activités sont concentrées sur les littoraux – notamment le secteur industriel, la pêche et le tourisme.
Méthode douce
Là où la ville de Saint-Louis, dans le nord du pays, elle aussi rongée par l’érosion, accueille actuellement la construction d’une colossale barrière de rochers pour protéger ses habitants, là où la ville de Saly (située sur la Petite-Côte) a bénéficié de la construction de neuf brise-lames pour sauver ses plages, des zones comme celles de Diogué font figure d’oubliées. Elles n’ont pas l’ossature économique pour attirer de gros investissements.
Cet après-midi d’octobre, Oumar Ndiaye se montre pourtant optimiste. Comme les autres insulaires, il a constaté les mètres de sable reconquis grâce à l’installation de cinq barrages en épis sur la côte sud-est. « On a réalisé un premier barrage en décembre 2019 sur le campement militaire, la zone la plus sensible, puis un deuxième plus loin sur la plage quelques mois plus tard », relate Patrick Chevalier, un économiste à la retraite.
« En deux ans, on a récupéré 20 mètres de plage au campement militaire, qui est revenu au niveau de 2011 », précise ce Français fortement investi dans la lutte contre l’érosion côtière en Basse-Casamance. Trois autres épis ont suivi, pilotés par Souleymane Ndiaye, un vieux cultivateur respecté sur l’île.
Cette méthode douce, inspirée du Canada, a un nom : le système d’épis Maltais-Savard (Sems). « On plante plusieurs dizaines de piquets sur les zones à risque, aux pieds desquels on tresse des feuilles de cocotier ou de palmier pour permettre une sédimentation au passage des marées », explique Lamine Sagna, directeur de l’école primaire de Diogué, qui réalise des mesures chaque semaine avec ses élèves et remplace les piquets abîmés. Chaque pièce demande une journée de travail pour un coût de 100 000 F CFA (environ 150 euros).
IL EST NÉCESSAIRE DE S’ATTAQUER À LA COMPRÉHENSION DES MOUVEMENTS DE SÉDIMENTS DU FLEUVE
Patrick Chevalier est conscient de l’aggravation de la situation. « Nous avons une solution qui a fait ses preuves depuis deux ans sur un kilomètre de littoral. On peut donc penser à sa démultiplication », estime-t-il. Pour cela, il faudrait que la population locale, les intervenants (ONG et autres) ainsi que les scientifiques (universités, instituts de recherche pour le développement) travaillent main dans la main. « Au-delà de la simple observation du trait de côte, il est nécessaire de s’attaquer à la compréhension des mouvements de sédiments du fleuve », insiste le défenseur du littoral.
En début d’année, le système s’est exporté à Ehidj, une île en amont du fleuve. « C’est une méthode intéressante à plusieurs titres, elle préserve la biodiversité, elle n’affecte pas négativement d’autres parties de l’île et elle est relativement bon marché, résume Moussa Sall, coordonnateur de la cellule régionale de la Mission d’observation du littoral ouest-africain (Moloa), au Centre de suivi écologique, à Dakar.
« On est en discussion pour répliquer le système dans d’autres zones, comme dans le delta du Saloum. Le plus important, c’est que ça implique les populations locales, poursuit-t-il. La méthode demande de l’entretien. Des étudiants en master en géographie peuvent ajuster le dispositif. Ce n’est pas “à la fin du projet, tout le monde s’en va”. »
Barricades de plantes aquatiques
Dans la langue de Barbarie, à Saint-Louis, d’autres méthodes douces ont été lancées, avec succès. C’est le cas de la technique des « typhavelles », « pour favoriser la fixation du sable et permettre à l’aire marine protégée de Saint-Louis de reboiser les parties atteintes par l’érosion », explique Moussa Sall. En 2019, des entreprises locales ont contribué à la construction de ces barricades naturelles, créées à partir de typhas – des plantes aquatiques qui pullulent dans le fleuve Sénégal. L’initiative a été financée par le Fonds français pour l’environnement mondial, qui s’intéresse maintenant à la localité de Pilote-Bar, près de Saint-Louis.
Luc Malou est responsable de la gestion des zones côtières du projet Waca Sénégal – un programme de gestion du littoral ouest-africain financé par la Banque mondiale. Il s’est rendu dans les zones où des méthodes douces ont été expérimentées pour y constater les bons résultats. « On réfléchit à mettre en place de petits financements pour accompagner les initiatives locales, mais aussi pour développer le maraîchage dans la zone, reboiser la mangrove, planter des arbres », dit-il. Dans la même dynamique, Patrick Chevalier propose, pour les îles de Casamance et le Siné-Saloum, une reconversion des espaces abandonnées à la mer en parc ostréicole.
La Basse-Casamance n’est toutefois pas prioritaire. L’équipe Waca Sénégal travaille actuellement sur un chantier autrement plus important : la stabilisation des falaises des corniches à l’est et à l’ouest de Dakar, ainsi que sur l’île de Gorée, dont les côtes sont elles aussi malmenées par l’érosion. Les travaux devraient démarrer en juin 2022.
Preuve que les initiatives locales sont davantage prises en compte par les grosses structures, l’Alliance mondiale contre le changement climatique 4 (AMCC+), qui travaille sur une seconde phase appelée « changements climatiques et gestion intégrée des zones côtières au Sénégal », souhaite impliquer les populations dans toutes les étapes des projets menés, dans une logique de construction de la durabilité des résultats.
Ses acteurs prônent aussi l’utilisation de solutions douces, basées sur la nature, acceptables sociologiquement, à faible coût et favorisant l’utilisation des matériaux locaux. En Basse-Casamance, Souleymane Ndiaye, Lamine Sagna et ses élèves de CM2 sont en tout cas prêts à se retrousser les manches.