L’écrivain Sénégalais Mouhamadou Mbougar Sarr a trempé sa plume pour condamner le report de la Présidentielle. Pour lui, Macky Sall a indignement trahi le peuple en reportant le scrutin sur la base d’arguments fallacieux. Seneweb vous propose l’intégralité de son texte.
« Je me trouve aussi passionné que limité en politique, mais ma limite est celle de la dénotation : alors qu’en tout autre champ je retourne jusqu’au vertige les sens et complexités possibles, je ne vois, dans l’espace politique, que la valeur apparente, première, des actes. Je concède ne pas toujours savoir interpréter subtilement les faits ou décrypter les arcanes de la lutte pour le pouvoir.
Mais certains faits ou gestes politiques ne nécessitent aucune acuité d’analyse. Leur signification est transparente, littérale, unilatérale. Cette limpidité les rend dangereux : ils ne valent que pour eux-mêmes et performent leur propre puissance aveugle et aveuglée. Macky Sall vient d’en commettre un (autre).
Pour toutes les raisons (politiques, juridiques, morales, constitutionnelles) que d’autres, mieux outillés que je ne le suis, ont déjà abondamment relevées et commentées depuis quelques jours, le report des élections présidentielles est une trahison institutionnelle indigne. Il est désastreux per se, pour sa signification politique immédiate et intrinsèque, mais aussi pour l’Histoire (passée et à venir).
Ses justifications sont fallacieuses. Il faut condamner cette trahison sans ambages. Je la condamne sans ambages. Macky Sall ne joue plus avec le feu ; il vient de le mettre aux poudres. Il est vrai qu’il en avait répandu une bonne partie dans le corps social depuis qu’il dérive vers l’autoritarisme le plus franc : on ne peut pas vraiment se dire surpris. Mais n’être pas surpris ne m’a pas empêché, en écoutant son adresse à la nation, d’avoir honte et d’être triste dans un premier temps.
Il me semble à peu près clair désormais que le Président Macky Sall est bête sur le plan politique. Je ne vois pas d’explication à certains de ses choix. C’est Homais au palais -un Homais impitoyable. Cela lui tiendrait presque lieu de génie.
J’ai pu lire qu’il en avait, et de la plus haute qualité, sur ce terrain. Peut-être même ai-je pu, un temps, croire à ce trait : puisque je ne comprenais pas toujours ce qu’il faisait mais qu’il me donnait l’impression que je finirai (je pourrais [ou devrais] mettre un « s » à ce finirai) bien par le comprendre, puisqu’il semblait toujours être pourvu, dans ses mots comme dans silences, de cette pascalienne « pensée de derrière » qui couronne la plus fine habileté politique, puisque même ses adversaires paraissaient lui reconnaître ou lui prêter une faculté à toujours avoir quelques coups d’avance dans le game, j’ai pu me dire qu’après tout, oui, qu’il était peut-être supérieurement brillant dans son domaine (étant entendu que brillant, en politique, n’est pas forcément un éloge de ses vertus morales).
Aujourd’hui, impossible de croire à cette affaire de génie sans pleurer, de rire ou de tristesse. On le dit bon en privé, simple et affable, rempli d’empathie, animé des meilleures intentions. Son action et attitude publiques suggèrent l’inverse, si fortement qu’on se demande à qui il dérobe son vrai visage :
au peuple qui l’a élu, à ses proches, aux deux, ou à lui-même ?
Qu’est-ce qui est le plus tragique ?
En attendant, le plus éclatant génie politique que je vois aujourd’hui à cet homme, en qui j’ai sincèrement cru (j’ai voté pour lui au deuxième tour, en 2012) tient dans la célérité, la brutalité et le systématisme de la répression de la majorité des gens qui ont essayé de contester ses décisions ou de remettre en cause sa pratique du pouvoir. On a connu moins piètre génie.
Pour l’heure, cyniquement, par la violence et par la terreur, cela marche. Homais finit bien avec la croix d’honneur chez Flaubert. Mais la vie n’est pas un roman ; la justice qui y a cours peut être plus cruelle et spectaculaire. Je songe à ceux que les forces de l’ordre ont tués récemment. Je prie pour eux.
Je ne veux pas m’habituer à cette chose-là ».