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L’histoire et la parenthèse, réponse au journal Le Monde (Par Massamba Diouf)

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Dans un éditorial publié le 8 août 2023, la rédaction du journal Le Monde a cru bon de donner au Sénégal des leçons de conduite de ses affaires judiciaires notamment dans le dossier Ousmane Sonko prenant, au passage, fait et cause pour l’inconséquent et surexcité avocat Juan Branco.

Le quotidien français tient à nous apprendre ce qui se joue au Sénégal à l’heure actuelle compte tenue des régimes militaires qui se multiplient en Afrique de l’Ouest : « la supériorité de la démocratie sur tout autre régime ». Nous partageons ce constat sur l’enjeu sans valider les analyses et conclusions auxquelles il mène ces samaritains.

En effet, le Sénégal est un Etat dont la trajectoire démocratique est particulière, dans le contexte régional et continental. En soixante-trois ans d’existence, le pays a connu des moments de crises – des parenthèses si l’on se place dans une perspective historique – mais son histoire est toujours restée celle d’un îlot où la force des institutions démocratiques triomphe toujours des attaques qui les visent.

Ces parenthèses ont pu atteindre leur paroxysme à un intervalle régulier de trente-ans (1962, 1993, 2023), même si entre ces périodes charnières, il y a eu d’autres moments de très grandes tensions (exemples : 1968, 1988, 1994, 2011, 2021).

En 1962, la supériorité de l’Etat sur le parti

Le 17 décembre 1962, alors que les parlementaires sont sur le point de voter sa destitution, le président du Conseil Mamadou Dia, en conflit ouvert avec le président de la République Léopold Sédar Senghor, fait évacuer l’Assemblée nationale par les gendarmes en invoquant la primauté des décisions du parti sur celles des députés. Finalement ces derniers se retrancheront dans le domicile de leur président, Lamine Gueye, pour voter ; Dia et certains de ses ministres seront mis aux arrêts par les militaires restés loyaux à Senghor.

Historiens, politistes et politiques confrontent leurs thèses et arguments, depuis des décennies, sur le bien-fondé de la décision de Mamadou Dia de faire évacuer l’Hémicycle par l’usage de la force entravant ainsi la séparation des pouvoirs au nom des prérogatives que lui conférait son statut de dirigeant du parti unique. Il n’en demeure pas moins certain que, ce jour-là, l’Etat a pris le dessus sur le parti.

En 1993, la supériorité de l’Etat de droit face à la terreur sur les juges

Trente-ans plus tard, l’Etat de droit triomphait de la terreur dont le point culminant fut l’assassinat du juge Babacar Seye survenu le 15 mai 1993. Les assassins et leurs commanditaires ont voulu entraver la proclamation des résultats des élections législatives contestées par l’opposition de l’époque.

Ils n’y parviendront pas. Les résultats seront proclamés malgré le climat délétère et les assassins arrêtés, jugés et condamnés avant de bénéficier d’une loi d’amnistie après l’alternance en 2000 ayant permis l’élection du Président Abdoulaye Wade.

En 2023, la supériorité du principe républicain face à la défiance contre les institutions

Au mois de mai 2023, devant comparaitre dans son procès pour viol, Ousmane Sonko déclare qu’il ne répondra pas à la justice et se barricade dans son fief de Ziguinchor, ses militants, des jeunes pour la plupart, lui servant de bouclier humain pour le cas où les forces de l’ordre seraient tentées de le déloger.

Cette séquence était précédée de plusieurs autres dans lesquelles il défiait les institutions du pays, disait son mépris pour la justice, clamait que nulle n’oserait l’arrêter, appelait ses partisans à semer le chaos si cette éventualité à laquelle il disait ne pas croire finissait par advenir.

Sonko était peut-être grisé par les évènements de mars 2021 qui avaient conduit à son placement sous contrôle judiciaire et sa remise en liberté après son inculpation dans l’affaire du viol alors que, face à de pareilles charges, la règle est le mandat de dépôt donc l’emprisonnement jusqu’au procès.

Jugé par contumace, il est appréhendé lors de sa « caravane pour la liberté », entre la date du jugement et celle du verdict, et curieusement reconduit à son domicile dont les issues seront tout aussi curieusement filtrées par la police plusieurs semaines durant au nom du maintien de l’ordre public. Il sera condamné sans que le verdict ne soit exécuté avant d’être finalement arrêté bien plus tard, inculpé et placé sous mandat de dépôt pour l’ensemble de son œuvre de défiance des institutions et d’appels à l’insurrection depuis 2021.

Les leçons de l’histoire

Senghor, Diouf, Wade, Sall, les présidents successifs du Sénégal ne sont pas exempts de reproches loin s’en faut. Ils ont gouverné parfois de manière inique et ont pu nourrir des tentations contraires à l’idéal démocratique contre lesquelles les ressources du modèle sénégalais ont triomphé.

Ainsi Léopold Sédar Senghor renonçait-il au pouvoir, en 1981, à un moment où la mode régionale voire continentale était à la présidence à vie. Abdou Diouf acceptait sa défaite en 2000 au moment où ailleurs, dans des situations semblables, le président sortant passait en force. Abdoulaye Wade fit pareil en 2012 et Macky Sall, tout récemment, a renoncé à briguer un troisième mandat rappelant le statut d’exemple reconnu au pays.

Contrairement à ce qu’écrit la rédaction du Monde, le Sénégal ne se « présente volontiers comme une démocratie », le Sénégal est une démocratie avec des imperfections comme c’est le cas pour toutes les démocraties et des défauts inhérents à la jeunesse de ses institutions toujours à parfaire.

Cela est dit plus pour rappeler une évidence que pour convaincre car, au fond, les Sénégalais, dans leur écrasante majorité, n’en ont que faire de ce que pense Le Monde malgré l’illusion d’universalité des opinions qu’un tel nom semble donner à ses journalistes.

Dans la marche démocratique du Sénégal donc jalonnée de crises donnant notamment lieu aux parenthèses en 1962, 1993 et 2023, les chefs d’Etat successifs ont en commun d’avoir su assurer la continuité démocratique dans un environnement hostile et pérenniser des institutions encore fragiles.

Ainsi parmi les leçons à retenir de cette trajectoire, quelques-unes nous semblent particulièrement importantes.

D’abord, si la ligne de Dia l’avait emporté, il est fort à parier que nous aurions hérité d’un système parti-Etat, à l’image de certains de nos voisins pour qui la seule issue pouvant déboucher sur une alternance au pouvoir fut le coup de force militaire. Or, les effets de la crise de 1962 ont concouru à instaurer au Sénégal, quelques années plus tard, un multipartisme contrôlé et par la suite intégral bien avant la plupart des pays africains.

Ensuite, si la stratégie des assassins du juge Babacar Seye et de leurs commanditaires avait fonctionné, nous aurions été un pays où pour remettre en cause les résultats officiels d’une élection, il faut tuer le magistrat ou l’un des magistrats en charge de leur proclamation.

Enfin, si la démarche d’Ousmane Sonko avait prospéré nous serions devenus un pays où ne pas répondre à la justice serait acceptable ; un pays où défier les institutions, menacer de mort un président élu, appeler à la violence, casser, brûler, attenter à la vie de civils constituerait un moyen d’échapper à la justice et de poursuivre un but politique.

Les leçons de l’histoire de notre jeune Etat sont, à ce propos, les suivantes : dans ce pays on ne prend pas le pouvoir par le coup de force partisan contre l’ordre institutionnel et la séparation des pouvoirs ; on ne force pas le résultat d’une élection par l’assassinat des juges ; on n’accède pas au pouvoir par la stratégie de la défiance et de la terreur.

Adhérer aux principes constitutionnels, respecter les lois de la République, accepter de se soumettre à la justice, gagner des élections, voici aujourd’hui encore et, nous l’espérons, pour toujours les seules voies pour parvenir à la tête du Sénégal. Et c’est une bonne nouvelle n’en déplaise aux donneurs de leçons tapis dans les rédactions parisiennes.

Supériorité de la démocratie sur tout autre régime disaient-ils ; le Sénégal ne les a pas attendus.

Massamba Diouf

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