Souleymane Bachir Diagne invite l’Europe et l’Afrique à regarder dans la même direction pour ‘’retisser’’ leur lien
L’Europe et l’Afrique doivent regarder dans la même direction pour ‘’retisser’’ leur lien et ‘’faire communauté’’, a estimé le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne.
De l’envoyé spécial de l’APS, Ousmane Ibrahima Dia
‘’La meilleure manière de retisser un lien, de faire communauté, c’est de regarder dans la même direction et de se fixer des objectifs communs’’, a-t-il dit.
L’enseignant à l’université de Columbia aux Etats-Unis s’exprimait récemment à la fin du colloque ‘’(Re)fonder le lien Europe-Afrique’’, organisé à l’Auditorium du journal Le Monde, à Paris, par les magazines Le Monde diplomatique et Continent premier.
Des diplomates, d’anciens ministres, des chercheurs, des économistes, des jeunes de la diaspora, etc., ont participé à cette rencontre qui entre dans le cadre du ‘’Gingembre littéraire’’ initié par le directeur du magazine Continent Premier, Gorgui Wade Ndoye, un journaliste sénégalais basé à Genève.
La nécessité de bâtir une nouvelle relation entre les deux continents a été abordée pendant une journée à travers trois tables-rondes ‘’Europe-Afrique : dialoguer autrement’’, ‘’Relations économiques, de la verticalité Nord-Sud à l’horizontalité d’un partenariat entre égaux’’ et ‘’La nouvelle géopolitique, une chance pour renouveler la relation Europe-Afrique ?’’.
Dans son propos de clôture, le philosophe a vanté une ‘’Afrique nouvelle’’ qui se met en place dans la perspective d’‘’un futur souhaitable’’ à co-construire avec l’Europe.
‘’Il est question de construire un lien avec une Afrique nouvelle. Une Afrique qui a pris conscience d’elle-même, avec les atouts que représentent ses ressources naturelles, mais aussi démographiques, pourvue que ces populations soient bien formées et mises en situation d’entreprendre, d’innover et de créer’’, a-t-il souligné.
Selon lui, le colloque ‘’a permis de voir profond et de voir large sur un sujet qu’est la refondation de la relation entre l’Europe et l’Afrique ; quelles actions devons-nous entreprendre aujourd’hui en vue d’un futur souhaitable à co-construire dans la relation entre l’Europe et l’Afrique’’.
Affronter le poids de l’histoire
Il a souligné que ‘’dans cette démarche, l’histoire a toute son importance et a son poids’’. L’histoire entre l’Europe et l’Afrique étant ‘’une histoire qui pèse, ce poids il faut l’affronter’’, a-t-il suggéré.
Après l’afro-pessimisme, une ‘’Afrique nouvelle’’ se met place et construit ‘’de plus en plus son propre agenda’’, qui est celui ‘’d’un panafricanisme revivifié’’, a-t-il salué.
Il a rappelé l’avènement, depuis janvier 2021, de la Zone de libre échange continentale (Zlecaf). ‘’(…) ce n’est pas rien. Cela veut dire que la direction est prise. (…) L’idéal fédéraliste s’est au fond réveillé’’, a-t-il dit, non sans reconnaître que la démocratie ‘’est en très mauvaise santé’’ sur le continent, comme dans le reste du monde d’ailleurs.
Selon lui, ‘’l’Afrique est en train de développer des partenariats et entend développer des relations avec elle-même’’.
‘’Cela veut dire que les pays africains eux-mêmes sont en train d’avoir des politiques africaines’’, s’est réjoui le philosophe.
Dans le cadre de ces partenariats, dit-il, le continent entend que ‘’son propre agenda’’ soit pris en compte, a-t-il dit.
Il a rappelé que ‘’ce qui a établi une asymétrie dans les relations entre l’Europe et l’Afrique, c’est que l’Europe avait son agenda’’ alors que ‘’l’Afrique ne semblait pas avoir d’agenda’’.
Souleymane Bachir Diagne a évoqué la construction d’une Afrique qui n’est plus celle des ‘’liens verticaux’’ avec l’ancienne puissance coloniale, symbolisés par le fait que la plupart des infrastructures-routes et chemins de fer-partaient des points d’extraction des richesses jusqu’à la côte. Il s’agit maintenant, selon lui, de mailler l’Afrique en infrastructures pour construire l’espace africain.
L’enseignant a relevé que c’est dans ce cadre qu’il y a un agenda qui indique qu’il faut accorder la priorité aux infrastructures, pour que l’Afrique ‘’soit véritablement unie’’. Cette perspective permet que l’on puisse quitter, avec sa voiture, Dakar pour se rendre à Lagos, a-t-il encore dit.
“S’endetter pour construire des infrastructures a un sens”
Partant de là, il ne faut pas s’étonner de la place importante qu’a prise la Chine sur le contient, a estimé Souleymane Bachir Diagne.
Il a rappelé que ce n’était pas la tradition des puissances européennes d’investir dans les infrastructures qui estimaient qu’il y avait ‘’très peu de rendement, de retour sur investissement’’ dans les infrastructures.
Selon lui, la Chine présente l’intérêt pour les pays africains d’investir dans les infrastructures, c’est-à-dire de faire en sorte que l’Afrique ‘’soit un espace unifié, un espace plus homogène possible’’.
Par rapport aux voix qui s’élèvent contre cette politique, il a déclaré : ‘’On a raison de dire qu’il faut se méfier ; qu’il ne faut pas qu’on soit prisonnier de la dette, mais il y a de bonnes et de mauvaises dettes. S’endetter pour cela a un sens. Et de toutes les façons, tout le monde s’endette vis-à-vis de la Chine. Ce n’est pas pour rien qu’elle est la deuxième puissance économique mondiale (…)’’.
Pour sa part, l’ancien ministre des Affaires étrangères, du Sénégal, Cheikh Tidiane Gadio, a estimé que refonder le lien entre l’Europe et l’Afrique prendra du temps à cause du passif humanitaire lié à l’esclavage, la colonisation et le post-colonialisme.
Selon lui, il faut ‘’inventer une nouvelle relation’’ et ‘’ne pas vivre dans l’amertume’’.
Les Africains peuvent prendre leur destin en main grâce aux nombreux atouts dont regorge le continent, de l’avis de M. Gadio.
Défaut de leadership
‘’Nous avons tout. Nous sommes le continent potentiellement le plus riche du monde. On a un milliard de jeunes, des terres qui nous permettent de nous nourrir. On a toutes les ressources naturelles du monde. Il nous manque juste un leadership’’, a-t-il dit.
Selon lui, l’Afrique doit réfléchir et régler elle-même ses propres problèmes.
‘’Nous sommes des adultes. Nous voulons prendre notre destin en main. Nous voulons régler nos problèmes, qu’on arrête de réfléchir pour nous’’, a-t-il exhorté, déplorant l’existence de ‘’20 vingt stratégies’’ pour le règlement de la crise sécuritaire au Sahel.
Il a déclaré que ‘’vingt stratégies Sahel ont effondré le Sahel’’. Reprenant une expression des jeunes en guise de conclusion, il a dit : ‘’Tout ce qui se fait pour nous, sans nous, se fait contre nous’’.